« LA CITÉ DU FATICANT »
Entendre un propos construit, réfléchi qui s'élève contre le populisme crasse qui nous intoxique est un moment à marquer d'une pierre blanche. Je suis donc très fière d'avoir la permission de publier cette lettre ouverte à Jean Tremblay. C'EST À LIRE!!!!!!
Est-ce que Saguenay est une ville plus catholique que les autres? Il est permis d’en douter, puisque que la moitié des églises de la municipalité sont désaffectées. Mais depuis que Jean Tremblay en est le maire, on peut dire que Saguenay est devenue la « Cité du Faticant ». Le maire Tremblay n’est pas un cas banal. Pour qualifier son personnage, il faut recourir à un nouveau concept : le dogme de l’infaillibilité municipale. Il ne serait pas surprenant que les membres du Conseil municipal – « Conseil médiéval » conviendrait peut-être ici d’avantage – finissent par canoniser Jean Tremblay de son vivant. Ce serait l’occasion de transformer l’Hôtel de Ville de Saguenay en Oratoire. Les pèlerins viendraient de partout afin d’admirer le Souverain Pontifiant en personne, Jean Tremblay, le pape de la rue Racine. Ce serait sûrement bon pour l’économie de la ville. De temps à autre, le Conseil Médiéval se réunirait en grand « concave » dans la Cité du Faticant. Et puis, avec un peu de chance, nous aurions peut-être même droit à un nouveau concile : Faticant 2. Imaginez : la ville «la mieux gérée du Québec», la «cité modèle» , la ville sainte de Jean Tremblay! Mais trêve de plaisanteries.
C’est sans surprise que j’ai appris la décision du maire Tremblay d’interjeter appel du jugement du Tribunal des droits de la personne lui ordonnant de cesser de réciter la prière publique avant les séances du Conseil municipal et de retirer les objets de culte de la salle du Conseil. Bien que partageant moi-même la foi catholique, la prétendue croisade de Jean Tremblay en faveur de la prière ne me plaît pas. Je m’explique.
Je souligne d’abord que nous avons la chance de vivre dans un pays où la liberté de conscience et de religion est reconnue comme un droit fondamental pour tout individu. Ceci signifie que chacun possède le droit de choisir sa religion et ses croyances selon ses propres convictions. Nous avons aussi la chance de vivre dans un pays démocratique. Mais la démocratie ne donne pas le droit à la majorité d’imposer sa religion au reste de la société – ou à qui que ce soit, d’ailleurs – puisque ceci violerait le droit à la liberté de conscience, qui constitue un droit individuel fondamental. Les droits individuels fixent donc des limites à ce que peut faire la majorité dans une démocratie. La démocratie n’est pas synonyme de dictature de la majorité. Ainsi, en tant que citoyen, Jean Tremblay a le droit suspendre des crucifix sur tous les murs de sa maison, et d’y installer des statues du Sacré-Coeur dans toutes les pièces; il peut réciter le chapelet dix fois par jour, s’il le juge à propos. Toutefois, l’Hôtel de Ville de Saguenay n’est pas la maison de Jean Tremblay, ni celle des catholiques. L’Hôtel de Ville est la maison de tous les citoyens de Saguenay, les catholiques comme les autres. L’Hôtel de Ville doit donc être un milieu neutre du point de vue religieux. Dans le cadre de ses fonctions de maire de Saguenay, Jean Tremblay a le devoir d’adopter une attitude de stricte neutralité religieuse : il ne doit favoriser aucune religion – y compris la sienne – aux dépends des autres croyances. Cette neutralité n’est pas antireligieuse; bien au contraire, elle résulte du profond respect qui est dû à la liberté religieuse de tous les citoyens.
Je soutiens ensuite que la position du maire Tremblay ne s'inspire pas de l’Évangile de Jésus Christ. Je sais que cette affirmation peut paraître étonnante. Mais Jésus nous a laissé la Règle d’or : « Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pareillement pour eux » (Lc 6, 31). Autrement dit, traite les autres comme tu voudrais être traité et ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse. On peut tirer de la Règle d’or cette conclusion : « n’impose pas ta religion aux autres puisque tu ne voudrais pas que les autres t’imposent leur religion ». Jésus a dit aussi : « Et quand vous priez, n’imitez pas les hypocrites : ils aiment, pour faire leurs prières, à se camper dans les synagogues et les carrefours, afin qu’on les voie. Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là, dans le secret; et ton Père, qui est dans le secret, te le rendra » (Mt 6, 5-6).
Je termine sur cette pensée de Blaise Pascal, qui constatait que « Les hommes ne font jamais le mal si complètement et joyeusement que lorsqu’ils le font par conviction religieuse ». Toute l’histoire de l’humanité montre que les querelles religieuses ont été – et sont encore de nos jours – à l’origine de tragédies innombrables : guerres, massacres, persécutions, injustices et souffrances de toutes sortes. Ne dit-on pas qu’il faut tirer des leçons de l’histoire? Or, l’une de ces leçons, c’est que la politique et la religion forment un bien mauvais ménage. Que chaque individu adopte donc les croyances religieuses qui lui paraissent appropriées, et qu’on laisse l’État – qui est le bien de tous – neutre du point de vue religieux. C’est encore la meilleure façon d’éviter les disputes et de respecter les croyances de tous.
Jean-François Tremblay, M.A.